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de la réalisatrice

Que saviez-vous de la vie de Robert Wilson avant de commencer votre film ?

J'ai grandi en Allemagne, où le travail de Robert Wilson était très en vogue. En Europe il est connu comme étant un artiste total et omniprésent sur la scène artistique. Il pousse les limites de l'art contemporain et influence de nombreux courants. A ses débuts, il a collaboré avec Tom Waits et William Burroughs dans The Black Rider, se fut une grande réussite. Ensuite il a poursuivi lors une seconde collaboration fructueuse avec Lou Reed dans Time Rocker. J'ai tout de suite pensé qu'ils étaient spectaculaires et j'étais très attiré par leurs travaux. En voyant un spectacle co-dirigé par Robert Wilson, que l'on aime où non le style, on ne peut rester indifférent face à l'esthétique, la force et l'innovation qu'il apporte au monde théâtral. Je ne connaissais rien sur lui où sa vie, il est très pudique et n'aime pas donner des interviews.

Pourquoi avez-vous décidé de faire un film sur Robert Wilson ?

Je cherchais un projet sur un artiste et ses muses, lorsque Wilson est littéralement entré dans ma vie. .lors d'un cocktail. Nous buvions de la vodka ensemble et nous avons commencé à parler de l'art, sur ce que je faisais, sur ce qu'il faisait. A la fin de la conversation il a déclaré, 'pourquoi ne ferions nous pas quelque chose ensemble ?'. Bien sure, Wilson a les plus improbables muses : deux enfants, un sourd muet et un autiste. Cela entrait parfaitement dans mon projet et j'étais ravie. Deux jours plus tard, je lui ais écris une longue lettre lui expliquant mon enthousiasme de travailler avec lui et l'intérêt que je portais à son travail.

Pourquoi avez-vous pensé que Robert Wilson, souvent réticent pour parler de lui accepterait de travailler avec vous ?

Je me suis souvent posé cette question parce que beaucoup de personnes ont suivi Robert Wilson dans sa carrière et ils étaient plus qualifiés que moi. Je pense qu'il y avait deux facteurs : le premier était simplement notre entente qui a été très bonne dès le début, nous avons le même sens de l'humour et nous sommes tous les deux des étrangers qui aimons explorer différentes cultures et leurs histoires. Il est Américain et il travaille principalement en Europe, je suis Européenne et je travaille surtout aux Etats-Unis. Chacun de nous apporte sa propre perspective du monde, sa culture, ce qui a largement enrichi notre travail. Le second facteur a été, que je n'ai jamais considéré ce projet comme abouti et que je n'ai jamais enfermé Robert Wilson dans un moule prédéfinit. Le projet a commencé vierge de tout model, tout a été à écrire. Pendant quatre ans, le film a évolué, c'est transformé et mes questions ont grandi autour d'un réel intérêt pour sa personnalité autant que pour son art. C'était invraisemblable!

Qu'est ce qui vous fascinait le plus chez Robert Wilson ?

Bob était en dehors des choses et c'est comme cela qu'il est entré dans le monde du théâtre. Il a grandi à Waco au Texas, fils du maire, son homosexualité était très mal perçue dans une région où régnait la ségrégation. Il avait des difficultés à parler jusqu'à l'âge de cinq ans. Non seulement il avait des problèmes de langage mais il a également apprit à marcher très tard et comprenait très lentement : le cas type d'un processus de désorganisation. Les enfants qui ont ces symptômes sont souvent des personnes à la mémoire visuelle. Encore aujourd'hui, Robert Wilson utilise des schémas pour expliquer ses idées. Ainsi, il n'est pas surprenant de constater que la force et la puissance de ses mises en scènes ne réside pas dans l'utilisation pure de la parole. En effet, celle-ci y trouve une place restreinte. Il utilise fréquemment un langage déconstruit en fond sonore, ce qui peut paraître très désagréable. Cependant, si vous replacer ces effets sonores dans son travail en art thérapie cela devient utile et fait sens. C'est surtout à ses débuts qu'il a collaboré avec des personnes handicapées comme le sourd-muet Raymond Andrews et l'autiste Christopher Knowles. Ils ont largement enrichi son travail de création en lui apportant leurs perceptions différentes du monde. Robert Wilson résonne encore sur ce principe, il reste influencé par des personnalités marginales qui complètent son travail artistique.

C'est grâce à Byrd Hoffman, un professeur de danse à Waco au Texas, que Robert Wilson a pu sortir de son handicape. En effet, elle s'aperçue qu'il ne s'agissait pas d'un simple bégaiement (comme ses parents pouvaient le croire), mais qu'il souffrait d'un vrai retard. Elle lui conseilla de parler et de se déplacer plus lentement. Cela lui fut d'une grande aide et peu à peu son bégaiement s'améliora. Il utilisa la méthode de ralentissement de Byrd Hoffman dans son travail jusqu'à l'intégrer dans le titre de son groupe de recherche théâtrale : 'Byrd Hoffman School of Byrds'. Il rend ainsi hommage à la femme qui lui a permit de sortir de son enfermement et qui lui l'a poussé à trouver un moyen de s'exprimer. C'est absolument fascinant de voir comment Robert Wilson, a su créer, à partir de son histoire personnel, un style novateur, personnel, organique et puissant qui est porteur d'un nouveau message artistique.

Aujourd'hui, Robert Wilson est l'un des metteurs en scène de théâtre et d'Opéra les mieux payé du monde. Il travail très régulièrement à la Scala, à l'Opéra de Paris, au Métropolitain Opéra. Cependant il dépense tout son argent pour le Watermill Center, un centre d'art ou des artistes du monde entier (certains sont handicapés), se retrouvent pour travailler et créer en unissant leurs différentes capacités. Pour lui, son travail est plus important que son confort personnel et sa sécurité financière. Je trouve cela remarquable.

Comment une seule personne est-elle capable de réaliser un film entier sur Robert Wilson ?

Vous avez besoin de beaucoup de temps, ce que je ne savais pas au départ. La principale critique que l'on entend à propos de Robert Wilson, c'est que son style est très abstrait et souvent inaccessible, rempli de symboles et de dessins. Quand je l'ai rencontré je l'ai trouvé ouvert et très humain. Il ne m'est pas apparu comme un artiste qui aimait les jeux intellectuels mais comme un homme qui croyait passionnément à sa vision du monde, une vision très visuelle et très esthétique. Dès le départ, je me suis aperçue que son travail était plus inspiré par ses expériences professionnelles que par une recherche intellectuelle (même si il s'est beaucoup servit des artistes des années 60). La plus grosse difficulté a été de faire parler Robert Wilson de sa vie, de ses oeuvres et qu'il se confit a moi - c'est quelque chose qu'il n'avait jamais fait avant-. Cela m'a prit quatre ans, et puis il s'est enfin ouvert et il m'a fallu reconstituer toute une vie, comme un puzzle.

Puis il a été question du problème de l'audience pour le film. Aux Etats-Unis, le travail de Robert Wilson n'est plus très présent alors qu'en Europe il est reconnu comme un artiste achevé qui a marqué le siècle. En effet, Robert Wilson est l'un des rare artiste qui est né du théâtre expérimental - le théâtre d'avant-garde des années 60- et qui a réussi a percé sur la scène internationale. Il fait constamment référence à ses racines : c'est un vrai artiste américain même si il est surtout connu en Europe. J'ai senti le besoin de présenter Robert Wilson pour ce qu'il est vraiment, de lui construire une identité, de monter au public un homme qui lie sa vie à son ouvre. Inspiré du New York des années 60, qui était artistiquement dénonciateur et révolutionnaire tant sur le plan politique que social, je voulais avant tout que le film intéresse un public jeune mais je crois aussi que son combat pour la vie peut concerner tous le monde et dès lors je pense qu'une large catégorie de personne pourra être intéressé par le film.

Comment a été monté le film ?

Il me semble que le New York Times a appelé Robert Wilson le « maître de la lumière et de l'espace, le magicien du monde théâtrale ». Une chose a été tout de suite claire : il était impossible de reproduire l'expérience tridimensionnelle du théâtre, et en particulier la grandeur des spectacles de Robert Wilson à travers un film. De plus, le matériel avec lequel nous devons travailler s'élargie (8mm, 16mm, vidéo), et nous avons prit le parti d'adopter un style cinématographique assez classique afin de pouvoir construire sur toute la longueur une structure cohérente. Le style du film est assez naturaliste ce qui contraste nettement avec le langage surréaliste de Robert Wilson. De plus, je sentais que cela avait de l'importance pour créer un film avec une narration forte, encore une fois cela contraste avec le langage déconstruit de Wilson, parce que je voulais que les spectateurs aient accès à cette particularité de Robert Wilson. J'ai donc accentué mon sujet sur les premières années de sa vie, en effet, c'est la clé principale pour comprendre d'où viennent son inspiration et son travail de création.

Je peux dire que la construction du film est très Wilsonienne. En effet, la forme favorite de Robert Wilson est le triangle, et le film est construit sur ce model : deux époques, le passée et le présent, qui commencent loin l'une de l'autre pour finir par se rapprocher. Habituellement, dans ces pièces de théâtres, Wilson ne met pas d'entracte, il connecte les actes avec un entracte 'spécial' qui consiste en de petites scènes de vaudeville. J'ai repris cette idée, en divisant sa vie en actes qui suivent une ligne autobiographique. Après chaque acte autobiographique, j'ai fait un retour sur le présent pour montrer les aspects de sa vie quotidienne et présenter plusieurs de ses nouvelles créations. Ses petites séquences empêchent de tomber dans un documentaire autobiographique traditionnel.

Quels sont les réalisateurs qui vous ont le plus influencé ?

C'est toujours une question difficile, parce que les réalisateurs que vous admirez ont souvent un style très particulier, il se serai insensée de vouloir les imiter : je continu à apprécier leurs travaux tout en créant mon propre style. Dans le cas du documentaire sur Robert Wilson, qui était très difficile à réaliser j'ai utilisé des idées de Frederico Fellini et de Luis Buñuel.

Habituellement, je commence mes films avec de la musique. J'écoute la musique et attend que des images et une histoire apparaissent dans mon esprit. Pour ABSOLUTE WILSON, je ne pensais à aucune musique en particulier. Il travail souvent avec de la musique atonal, comme celle de Tania Leone ou Luigi Nano, ou avec des maîtres de la musique du XIXe siècle, comme Richard Strauss, mais je trouvais cela trop lourd. Et puis j'ai regardé la vie de Robert Wilson et je me suis rappelé la musique de Nina Rota sur les films de Fellini, comme Roma ou La Doce Vita. Alors je me suis dis que notre compositrice, Miriam Cutler, avais le même sens de la musique et je l'ai choisi.

Robert Wilson a grandit dans une ville très religieuse et il a été très marqué par cet aspect de son éducation. Il m'a fallu trouver un moyen de montrer comment l'Eglise a influencé ses créations tout au long de sa vie. Louis Buñuel a su utiliser les symboles religieux et politiques dans son travail. J'ai étudié Tristana et Viridina, qui sont une critique du Catholicisme sous la dictature de Franco, ces deux films m'ont beaucoup aidé pour la construction du documentaire.

Le conflit entre le père de Robert Wilson et son fils est l'un des thèmes principaux du film. Dans quelle mesure, cette relation a-t-elle influencé la carrière de Robert Wilson ?

Lorsque j'ai commencé à filmer, Robert Wilson me disait que sa mère était sa première source d'influence, son élégance, son allure, sa distance explique beaucoup l'esthétique de ses spectacles. Mais il y avait autre chose, son sens de l'énergie et de la rébellion étaient clairement influencé par un homme. Robert et son père ne pouvaient être plus différent l'un de l'autre. Diguide Wilson (le père de Robert Wilson), était capitaine de l'équipe de foot joueur traditionaliste, avocat très Américain et un des leader de la communauté de Waco. Il n'appréciait pas les tendances artistiques et homosexuelles de son fils et il ne comprenait pas son théâtre surréaliste. Malgré une indifférence totale pour son travail, Robert Wilson essaya d'intéresser son père à sa vie. Leur conflit n'a jamais été résolu, mais lorsque Robert Wilson visionna le documentaire 'ABSOLUTE WILSON' pour la première fois il réalisa que son père avait été fier de lui malgré tout, il a été très ému. Pour Robert, cette prise ce conscience signifie tourner la page sur une douleur qui l'a blessé pendant toute sa vie. D'un autre côté, c'est de ce conflit qu'est né une grande partie des créations de Robert Wilson.

Comment avez-vous trouvé les images du film ?

C'est une bonne question, nous avons fait des recherches énormes, et sommes allé dans des théâtres du monde entier. Le pire c'est que la plupart des théâtres filment leurs répétitions générales sur cassettes VHS. Lorsque j'ai demandé une cassette au Metropolitan Opéra du spectacle de Wilson Lohengrin, Joe Volpe (le manager général) m'avertit qu'il n'avait malheureusement qu'une seule cassette VHS en noire et blanc avec une ligne qui coupait l'image au centre! C'était très décourageant. Finalement les recherches pour trouver des matériaux utilisables commençèrent à New-York et s'élargirent aux théâtres du monde entier.

Heureusement, Wilson possédait de nombreuses archives dans sa fondation (The Byrd Hoffman Fondation) à New York. Il m'y a garanti un accès permanent ce qui était très généreux et m'a beaucoup aidé ; beaucoup d'ouvres y sont répertoriées, mais pas seulement des productions, il y a aussi de nombreuses photos personnelles. Il avait également stocké des archives dans différentes institutions. Par exemple, nous avons reçu un appel du Théâtre de Répertoire Américain d'Havard nous prévenant qu'ils avaient trouvé dix boites non répertoriées de travaux de Robert Wilson et ils nous ont demandé si on voulait les récupérer. Bien sûre que nous voulions !

De plus, il y a le fameux entrepôt dans le New Jersey où sont entreposés de nombreuses archives. C'est à cet endroit que nous avons trouvé les films de ses premières créations, mal classés et presque oubliés. Dans le même temps nous avons appelé le professeur Arnold Aronson, la dernière voie du théâtre d'avant-garde des années 60, dont le dernier livre traitait du spectacle de Robert Wilson Baby Blood, nous lui avons dit que nous avions trouvé le long métrage de cette production, il ne pouvais pas le croire et était ravi.

Pour les séquences de cinéma-vérité, nous avons voyagé un peu avec Robert Wilson; même si il était très difficile financièrement et logistiquement de pouvoir suivre ce planning. J'ai fini par demander à ses deux assistants cameramen d'attraper quelques images de son travail quotidien.

Robert Wilson a-t-il donné son point de vue pendant la réalisation du documentaire ?

Il n'est jamais intervenu dans mon travail. Il a été très généreux, il a mit son bureau à ma disposition mais n'a jamais demandé à voir le film. A certains moments je pense qu'il oubliait même que je tournais un film. Au festival du film de Berlin, un journaliste est venu vers lui et lui a demandé : 'Monsieur Wilson, quelle est la partie du film que vous préférez ?'. Il a été complètement dérouté, c'est tourné vers moi et m'a dit : 'Katharina voulez-vous bien lui dire ce que j'ai préféré dans le film.'