En 1945. L'Allemagne nazie a capitulé devant les armées alliées. Berlin n'est plus qu'un champ de ruines fumantes. Edmund Koehler, un garçon de 12 ans, parcourt les décombres à la recherche d'un peu de nourriture avant de rentrer dans l'immeuble à demi effondré où sa famille a trouvé un refuge précaire. Son père, malade, s'enferre dans ses souvenirs. Son frère aîné, Karl, ancien nazi, vit traqué. Sa sœur, Eva, tente de subvenir aux besoins des siens par des ménages et en fréquentant l'occupant. Au milieu de cette ambiance de fin du monde, le petit garçon sans repère tente de s'en créer de nouveaux, fuyant toujours un peu plus la terrible réalité...
REGARDS CROISÉS SUR ALLEMAGNE ANNÉE ZÉRO
« Crime relatif et absolu. C'est la guerre. Pas de méchants ou de victimes, pas de pleurnicheries : dans la ville réduite à presque zéro, un dérisoire morceau de carton devient un trésor pour éloigner un courant d'air. Après Rome ville ouverte et Païsa, dans ce dernier volet de la trilogie qui fonde le néoréalisme italien, Rossellini invente une distance juste. Année zéro. C'est à partir de là que la Nouvelle Vague inventera la notion d'auteur. Le poète a réussi à voler ce monopole qu'avaient jusqu'alors les images d'actualités : la vérité. Vérité inconcevable de cet enfant criminel qui s'égare au milieu d'un labyrinthe de ruines avant de s'effondrer. C'est ici, dans l'absolu de cette tragédie volée au brouhaha de l'actualité, que se situe le zéro. »
Les Inrockuptibles, Luc Arbona, le 10 août 2006
« C'est après avoir réalisé deux immenses films sur la guerre et la résistance au nazisme (Rome, ville ouverte et Paisa) que Roberto Rossellini a quitté l'Italie pour Berlin. Dans cette ville dévastée, au milieu des ruines où résonnait encore l'horreur de l'Histoire, il a tourné pendant l'été 1947 Allemagne année zéro, le film d'un monde qui repart de rien, cerné par le sentiment du néant. Dans une société laminée où personne n'a de place enviable, celle d'Edmund est la pire. Au service des autres, il devient le relais de la haine qui a survécu et d'un désespoir auquel il ne survivra pas. Au plus près de la réalité, Rossellini éclaire aussi l'âme d'une époque, et prend toute la mesure de sa noirceur à travers l'histoire de cet inoubliable enfant de 12 ans. »
Télérama, Frédéric Strauss
« Dans Berlin dévasté (c'est l'été 47), Edmund, 13 ans, déambule à la recherche de quelques patates ou d'une combine pour venir en aide à sa famille : son père malade, son frère qui se cache de peur d'être arrêté par les Alliés, sa soeur dépassée. Les adultes ne sont pas seulement lâches autour de lui, ils disent n'importe quoi, ne prennent plus la mesure des choses. Rossellini inscrit son personnage dans la ville détruite et le suit impassiblement dans ses déplacements. Juste une silhouette gracile au milieu du chaos : pas de pathos, pas d'étude psychologique, pas d'intensification narrative, aucune poésie ni esthétisme recherchés. Edmund cherche et attend, la caméra est avec lui, c'est une ascèse, une attente, jusqu'à ce qu'il trouve, jusqu'à ce qu'il commette l'irréparable. Qui était là avant lui, qui l'attendait. Face sombre de l'Allemagne, aliénation nazie, héroïsme malade. Allemagne année zéro, qui constitue un triptyque sur la guerre avec Rome ville ouverte (1945) et Paisa (1946), étonne par son dépouillement et la façon dont le film conserve sa liberté de flânerie, atone et grave, jusqu'à la déflagration finale, sans bruit. Il y a chez Rossellini un point de rencontre entre le hasard et les tensions souterraines qui habitent une société et un individu dans un présent donné. Alors se produit le choc, le scandale, l'incompréhensible, qui frappe les personnages comme la foudre, les condamne ou les sauve. Constatons que l'un des artistes qui créa le cinéma moderne, dans sa tentative de sortir du monde clos et harmonieux de la dramaturgie classique pour s'affronter à l'hétérogénéité du monde, conserva jusqu'au bout foi et passion pour le mystère. »
Libération, Isabelle Potel, le 7 mai 2005
« Les images de ce film insensé sont vues en même temps par un enfant, par un homme mûr, et par un reporter hâtif, on pourrait dire aussi par un Dieu absent qui n'a jamais autant dévoré du regard ses étranges créatures. La folle ambition de Roberto Rossellini est de vouloir adopter tour à tour chacun de ces points de vue, et de les fondre au bout du compte en une seule vision, à la fois patiente et impatiente, impérieuse et humble, impassible et aiguë, indifférente et bouleversée. C'est en cela qu'il opère une révolution du regard. Révolution décisive dans la mesure même où elle ne se conçoit que permanente. On ne peut guère imaginer de ruptures plus vives et plus franches, non pas d'une scène à l'autre, mais d'un moment à un autre […] Le regard de Rossellini en cette année zéro du monde occidental est celui d'un Dieu aux prunelles vides, poursuivant de son amour impuissant un enfant désespéré. »
7 à Paris, Claude-Jean Philippe, le 22 juin 1988
« C'est évidemment dans le dernier quart d'heure du film que triomphe l'esthétique de Rossellini tout au long de la quête de l'enfant à la recherche d'un signe de confirmation et d'assentiment jusqu'au suicide au bout de cette trahison du monde. »
André Bazin, Qu'est-ce que le cinéma ?
Rien ne semblait prédisposer Roberto Rossellini, né en 1906 dans une solide famille bourgeoise, à devenir un des maîtres à penser du cinéma d'après-guerre. Il entre dans le métier en suivant une progression rapide (de technicien du son, monteur puis scénariste, à assistant-réalisateur et réalisateur) et commence par six courts-métrages de 1936 à 1939, avant de faire ses premiers longs-métrage entre 1941 et 1943 (sa « trilogie fasciste » : La Nave bianca, Un pilota ritorna et L'uomo della croce). A ses débuts, il n'a pu travailler que dans le cadre de l'organisation mussolinienne du cinéma, mais il n'a rien d'un fasciste convaincu. Proche de la démocratie chrétienne, il choisit le camp opposé après l'écroulement du régime à Rome. A travers son œuvre, par sa réflexion sur la famille et la religion, comme par celle sur la guerre, l'histoire et la culture, qui se poursuivront tout au long de sa vie, il cherche à formuler une nouvelle pensée humaniste chrétienne.
Une deuxième période commence en 1945 avec le film Rome ville ouverte. Celui-ci est la traduction d'un drame politique, le martyre des résistants italiens dans une ville occupée et va rencontrer un succès immédiat. En 1946, il obtient l'un des Grands Prix du Festival de Cannes. Avec Paisà, en 1946, traversée de l'Italie du sud au nord dans les pas des soldats américains, puis Allemagne année zéro, tourné dans les rues de Berlin en ruines, il signe une trilogie en forme d'exploration d'un monde inconnu, celui de l'après-guerre. En trois ans (1945-1947), Rossellini réussit ainsi à tourner ces trois films de fiction, étroitement liés par leur réflexion sur la résistance en Italie, sur la guerre et ses conséquences ainsi que par leur forme (tournages en décors extérieurs, éclairage naturel, acteurs non-professionnels). Ces derniers vont participer à élever Rossellini au rang de « père du néoréalisme. Le réalisateur a cependant une conception très personnelle, éthique et humaniste du néoréalisme. Ainsi le « mouvement » représente pour lui, « surtout une position morale de laquelle on regarde le monde. Elle devient ensuite une position esthétique, mais le départ est moral. La chose à laquelle je visais était de trouver très honnêtement la vérité. Mais, pour trouver la vérité, il faut avoir un jugement critique. ».
Avec Ingrid Bergman s'ouvre une nouvelle période, celle des chefs-d'œuvre comme Voyage en Italie, Stromboli et La Peur. Son histoire d'amour controversée (lorsque leur liaison commence, tous deux sont déjà mariés) devient en effet une source d'inspiration pour ses longs métrages. C'est l'époque où Rossellini va être salué comme l'un des maîtres du cinéma. Ingrid Bergman jouera dans six de ses longs métrages. Puis ils se sépareront en 1957, alors que le cinéaste entretient une liaison avec une autre femme lors d'un voyage en Inde pour le film India (1959).
Dans les années 60, il réalise Il Generale Della Rovere, puis la chronique historique Vanina Vanini , d'après l'œuvre de Stendhal. Le film, dont le ton se veut plus léger et comique, est un échec. Il se décide alors à abandonner le cinéma au profit de la télévision. A partir des années soixante-dix, Rossellini, persuadé que la télévision est désormais le lieu de toutes les inventions, consacre la fin de sa vie à une série de téléfilms didactiques sur l'histoire de l'humanité et de ses grands penseurs : « L'âge du fer », « Socrate ». Cette dernière partie de son œuvre, la moins connue, tire encore aujourd'hui sa force de la puissante utopie qui l'a vue naître. Cette période moins connue de sa carrière sera pourtant très prolifique.
Son œuvre s'achève par un film testament Le Messie. En 1976, il devient président de la Cinémathèque française à la mort d'Henri Langlois. L'année suivante, il préside le jury du prestigieux Festival de Cannes. Il décède quelques jours plus tard, le 3 juin 1977, d'une crise cardiaque. L'influence de Roberto Rossellini a été profonde sur de nombreux cinéastes à travers le monde.
« … Il est temps que je détruise l'erreur fondamentale qui a été commise à mon égard : je ne suis pas un cinéaste. Même si je possède dans ce domaine une espèce d'habilité, le cinéma n'est pas mon métier. Mon métier est celui qu'il faut apprendre quotidiennement et qu'on n'en finit jamais de décrire : c'est le métier d'homme. Et qu'est-ce qu'un homme ? C'est un être debout qui se hausse sur la pointe des pieds pour apercevoir l'univers. » Roberto Rossellini
« On peut le deviner en regardant ses films, on en reçoit la confirmation sitôt que l'on échange quelques mots avec lui : Roberto Rossellini est un homme seul, comme abandonné. Les collaborateurs de ses premiers films n'ont pu le suivre dans son évolution. C'est ce que Rossellini n'est pas ce qu'on appelle un homme 'brillant' ; il ne sait et ne veut pas s'expliquer autrement que par ses films ; le cinéma est son unique moyen d'expression, il n'en conçoit pas d'autres. Et puis ce qu'il a à dire n'est pas du goût de tout le monde. Il fait des films pour crier casse-cou à une époque qui se laisse hypnotiser par l'athéisme, au monde qui au lendemain de la guerre a perdu tout à la fois et la terre et le ciel, ce monde se refusant de bâtir à nouveau. » François Truffaut.
Courts métrages :
1937 Prélude à l'après-midi d'un faune
1938 Fantasia Sottomarina (Fantaisie sous-marine)
1939 La vispa Teresa (L'Alerte Thérèse)
1940 Il tacchino prepotente (Le Dindon tyrannique)
1941 Il ruscello di Ripasottile (Le Ruisseau de Ripasottile)
Longs métrages :
1941 Le Navire blanc (La nave bianca)
1942 Un pilote revient (Un pilota ritorna)
1943 L'Homme à la croix (L'uomo dalla croce)
1943 La Proie du désir (Desiderio) (commencé par Rossellini en 1943 sous le titre "Scalo merci" et terminé en 1946 par Marcello Pagliero)
1945 Rome, ville ouverte (Roma, città aperta)
1946 Païsa (Paisà)
1948 Allemagne année zéro (Germania anno zero)
1948 L'amore
1950 Stromboli (Stromboli terra di Dio)
1950 Les Onze Fioretti de François d'Assise (Francesco, giullare di Dio)
1952 La Machine à tuer les méchants (La macchina ammazzacattivi)
1952 Les Sept Péchés capitaux (I Sette peccati capitali), épisode L'Envie (L'invidia)
1952 Europe 51 (Europa '51)
1953 Nous les femmes (Siamo donne), épisode Ingrid Bergman
1954 Où est la liberté ? (Dov'è la libertà ?)
1954 Voyage en Italie (Viaggio in Italia)
1954 La Peur (Angst)
1954 Amori di mezzo secolo, épisode Napoli 43
1954 Jeanne au bûcher (Giovanna d'Arco al rogo)
1957 India mère patrie (India Matri Buhmi)
1959 Le Général Della Rovere (Il generale Della Rovere)
1960 Les Évadés de la nuit (Era notte a Roma)
1961 Vive l'Italie (Viva l'Italia)
1961 Vanina Vanini
1962 Âme noire (Anima nera)
1963 Rogopag, épisode Illibatezza, Une jeune fille bien
1974 L'An un (Anno uno)
1976 Le Messie (Il Messia)
Les acteurs
Edmund Kohler | Edmund Meschke |
Eva Kohler | Ingetraud Hinze |
Karl-Heinz Kohler | Franz Krüger |
M. Kohler, le père | Ernst Pittschau |
L'Instituteur | Erich Gühne |
Monsieur Rademaker | Hans Sangen |
Madame Rademaker | Heidi Blänkner |
• Réalisation | Roberto Rossellini |
Scénario | Roberto Rossellini, Carlo Lizzani, Max Colpet |
Produit par | Salvo D'Angelo, Roberto Rossellini |
Image | Robert Juillard |
Montage | Eraldo Da Roma |
Décors | Roberto Filippone |
Musique | Renzo Rossellini |
Distribution | Films Sans Frontières |