Troisième des cinq longs métrages de Rossellini avec Ingrid Bergman. La richesse du film, sa géniale limpidité, la paisible et immense ambition du propos sont de celles qui découragent l'analyse, surtout en peu de lignes. Tout en respectant l'inévitable linéarité du récit cinématographique, Rossellini décrit en cercles concentriques une réalité de plus en plus vaste.
Au départ de l'intrigue et au centre, il y a un couple, un homme et une femme proches par la nationalité et le milieu social, profondément séparés par le caractère et l'approche des choses. Homme d'affaires ne sachant rien faire d'autre que travailler, le mari ne communique nullement avec le monde qui l'entoure. La femme, elle, communique un peu plus avec ce monde, ne serait-ce que par ses frustrations. Frustrations d'enfants (alors que les rues de la ville semblent une ode à la maternité). Frustrations de savoir et de culture, qu'elle comble comme elle peut par ses excursions et ce que son mari appelle avec mépris ses « pèlerinages ». Frustration plus générale de contacts humains.
Dans le deuxième cercle, il y a deux civilisations qui s'opposent, le Nord et le Sud : le Nord de l'hyperactivité et du « time is money », le Sud du farniente, de la contemplation et de la poésie (auxquels est sensible le personnage d'Ingrid Bergman). La civilisation en tant que valeur, suggère Rossellini, n'est pas un dilemme, un choix à faire entre les deux. C'est une souhaitable, et d'ailleurs inévitable, union, synthèse, harmonie entre les deux attitudes, les deux regards devant la vie que représentent le Nord et le Sud.
Dans le troisième cercle se trouve la fragile et impalpable frontière entre le monde de l'intimité et le cosmos, entre l'intérieur et l'extérieur, entre la matière et la grâce, la banalité quotidienne et le miracle. Aux dernières du film, les deux personnages sentent que cette frontière est illusoire ; ils éprouvent, sans le formuler, que tout est « grâce ». La sérénité, suggère Rossellini, serait d'être à la fois dehors et dedans. En témoignent ces plans dits subjectifs pris de la voiture par quoi commence le film, où rien n'indique qu'on soit séparé du paysage, où on aborde la réalité comme on respire, où le subjectif se confond avec l'objectif, et le spectateur avec ce qu'il regarde. Si l'art du cinéma consiste à raconter une histoire simple qui, peu à peu, absorbe et contient toutes les histoires, et le spectateur, et le monde, alors « Voyage en Italie » peut être considéré comme l'un des films qui exploitent jusqu'à leur extrême limite les pouvoirs de cet art.
Jacques Lourcelles, Dictionnaire du cinéma