Le Monde d'Apu (Apu Sansar)

Synopsis

Calcutta, 1930. Apu rêve de succès littéraire, mais faute d'argent il doit interrompre ses études et affronter le monde du travail. Un jour son ami Pulu l'emmène au mariage de sa cousine. A la suite d'un accès de folie du jeune marié, Apu, venu en tant que simple invité, se voit contraint d'épouser la jeune femme pour lui éviter le déshonneur. Malgré les difficultés économiques du ménage, ce mariage précipité se transforme en un profond amour. Mais ce bonheur lui sera brutalement retiré…

De l'immensité du paysage aux détails infimes et délicats et jusqu'aux gestes les plus humbles, les déplacements feutrés de la caméra illustrent l'intimité des personnages avec finesse et subtilité. Le dernier volet de la Trilogie d'Apu est un chef-d'œuvre de modernisme, illustration parfaite et intemporelle de la vie d'un jeune couple et de l'accomplissement d'un homme.

Pour digérer l'échec commercial de L'Invaincu, Satyajit Ray réalise deux films, destinés à conquérir les producteurs et le public local : La Pierre philosophale (1957) et le très beau Salon de musique (1958). C'est lors d'une conférence de presse pendant le festival de Venise en 1957 que l'idée de terminer la Trilogie est soulevée. Contre toute attente, Le Monde d'Apu (Apur Sansar), sorti en 1959, connaît un succès identique à La Complainte du sentier, en Inde et à l'étranger.

Comme pour L'invaincu, il puise le scénario dans la seconde partie du roman de Banerjee. Conscient des différences culturelles entre l'occident et l'Inde, Ray a effectué de nombreux changements afin de rendre l'histoire plus accessible aux publics ignorants de certaines coutumes indiennes. Pour la scène du mariage, la réaction d'Apu est celle d'un homme moderne qui sauve l'honneur d'une jeune fille. Ray en fait une séquence lyrique, teinté d'humour, rendant la situation moins ''absurde'' pour l'époque.


analyses et critiques

« Il est des films dont la poésie et le charme gagnent peut-être en évidence, en profondeur, dès lors qu'une réalité simple et quotidienne se trouve mêlée, confrontée aux mœurs insolites et mystérieuses d'un nouveau pays. Tel - singulièrement proche et dépaysant - ce Monde d'Apu, dernier volet de la trilogie de Satyajit Ray.
Le petit garçon de Pather Panchali, l'adolescent d'Aparajito, c'est donc ce même Apu devenu jeune homme et qui, diplômé de l'Université, manque néanmoins à Calcutta de travail et d'argent. Il connaît l'offense et la misère mais sa santé et son romantisme évitent qu'il ne se désespère, l'aident à conserver intacts sa patience et sa foi. Par hasard un matin il rencontre une femme et l'épouse l'après-midi ; un an après elle meurt et lui abandonne la chambre où, ils ont vécu et qui lui rappelle un bref bonheur perdu. Cette histoire nous renvoie, bien sûr, à des drames connus. Ce qui en fait le prix c'est que l'auteur la raconte à sa manière, c'est-t-dire avec pudeur et candeur, avec une sorte de sérénité contemplative et de douceur lyrique grâce à quoi l'espoir, l'amour et la douleur sont exprimés sans outrances et sans cris. L'émotion naît de la simplicité, on se prend de sympathie pour ces personnages - plus familiers qu'exemplaires - dont les attitudes, les gestes, les timidités, les maladresses, témoignent d'une inspiration généreuse, d'une observation attentive de la vie.
Sans doute le ton général reste celui de la mélopée, de la complainte, mais il s'accorde - comme au sujet - au décor lui-même, à l'aube et au crépuscule de la ville, aux brumes grises de la rivière et de la campagne justement saisies dans leur beauté et leur mélancolie. » Yvonne Baby, Le Monde.

« Ce troisième volet de la trilogie d’Apu (cinquième film de Satyajit Ray) s’inscrit avec perfection dans la continuité de l’ensemble et aide à en dégager le sens. A chaque étape de sa vie, Apu a dû perdre ou quitter ce qu’il chérissait le plus au monde. Ces épreuves, qui font de la trilogie une saga lyrique de la souffrance et de la frustration, ont pu souvent désespérer Apu. Elles ne l’ont jamais transformé en un être complètement amer. Elles lui ont enseigné les vérités fondamentales de la vie et, lorsque nous le quittons, il est devenu un homme à peu près réconcilié avec lui-même et avec le monde. A mi-chemin entre le pessimisme et la sérénité, le style de Satyajit Ray tend à chacun des instants, des décors, des paysages, des rencontres qui ont jalonné l’itinéraire et l’apprentissage du héros. Il est étonnant de constater avec quelle économie de moyen, Ray réussit à rendre attachants ses personnages et, par exemple, celui d’Aparna, l’épouse d’Apu, dont la vie est si brève dans le récit et la mort si déchirante pour le spectateur. Les secrets de l’art de Ray sont plus simples à énumérer qu’à utiliser : la contemplation, l’attention passionnée aux êtres, la lenteur du rythme et un recours très habile et quasi invisible à certains procédés stylistiques très classiques, mais idéalement adaptés à l’effet particulier qu’ils veulent produire. Ainsi la présence d’Aparna est-elle prolongée dans le récit, avant l’annonce brutale de sa mort, par sa lecture en voix off de la lettre qu’elle a écrite à Apu et que celui-ci relit au bureau, dans l’autobus et sur le chemin de sa maison. Comme chez Ozu, la maturité de l’art de Satyajit Ray a exigé autant de travail et d’effort pour atteindre la perfection que pour faire oublier qu’elle l’atteint. C’est alors au spectateur d’accorder à ses films un peu de cette attention précieuse dont l’auteur fait constamment preuve vis-à-vis de son sujet, de ses personnages et de la réalité. »
Jacques Lourcelles, Dictionnaire du Cinéma.

« Les « apprentissages » d’Apu (car, en dépit du son lyrisme, la trilogie relève bien du roman d’apprentissage) vont bientôt s’achever. Mais pour devenir un homme, il devra subir une dernière épreuve : apprendre à accepter l’enfant dont la naissance a causé la mort de sa jeune femme. Fin ouverte sur un nouveau départ : le long d’une rivière, Apu s’éloigne, son fils de 5 ans juché sur les épaules. Apaisé, il est désormais en accord avec la nature. » Claude-Marie Trémois, Télérama.

« Ce troisième volet est à nouveau une merveilleuse évocation où la poésie se mêle au réalisme d’un récit transcendé par la parfaite maitrise de Ray. Apu vit un rêve qui se transforme en cauchemar. Un rêve et un amour fou traités par Ray avec une telle délicatesse, un tel raffinement de détails de regards et de situations que cet événement insolite fait surgir un couple éblouissant, simple, uni, et harmonieux. » Olivier Gamble, Guide des Films.