La Trilogie

Les films composant la Trilogie d’Apu sont adaptés d’un roman-feuilleton de Bibhutibhsan Banerjee, publié dans un périodique populaire à partir de 1928. Seize ans après, Ray, fraîchement sorti de l’école d’arts plastiques, illustre une réédition pour enfants et il en pressent déjà toutes les possibilités cinématographiques : « J’ai choisi Pather Panchali pour ses qualités qui en font un grand livre : son humanisme, son lyrisme et sa vérité. (…) Le script devait conserver le caractère désordonné du roman, parce que c’était ainsi, et ainsi seulement, que l’on pourrait lui garder son cachet d’authenticité : le désordre est en effet une des caractéristiques de la vie dans un village du Bengale » (Satyajit Ray).

Cette fresque dramatique retrace l’apprentissage d’un homme confronté à la réalité du monde, l’humble existence des familles, le rythme des saisons, la mort inextricablement liée à la vie. Une grande partie du roman de Banerjee est autobiographique, et évoque la vie rurale du Bengale. Le principal handicap de Ray, pour adapter le texte, était de ne pas avoir une expérience personnelle de la campagne.
« J’étais né et j’avais grandi dans une ville et tout à coup, je me trouvais en contact avec une ambiance nouvelle, un nouvel état de choses : j’éprouvais le désir de tout voir, de tout expérimenter, de saisir les moindres détails, les gestes caractéristiques, les manières de s’exprimer différentes. Il me fallait sonder les mystères de ‘’l’atmosphère’’. D’où venait la différence ? Comment était-il possible de saisir la différence entre l’aube et le crépuscule, de rendre perceptible le calme blafard et humide qui précède les premières pluies de la mousson ? Le soleil de printemps était-il le même que celui d’automne ? » (Satyajit Ray).


La Complainte du sentier (Pather Panchali), L’Invaincu (Aparajito), et Le Monde d’Apu (Apur Sansar), ont pour sujet la jeunesse, l’adolescence et la maturité du personnage principal, Apu, incarné successivement par 5 comédiens. Débutée en 55, la Trilogie ne sera achevée qu’en 59, couvrant une durée filmique de plus de 30 ans et des personnages qui s’étagent sur quatre générations.  Le génie de Ray est d’avoir réussi à maintenir une forte impression de continuité alors que la trilogie n’a pas été conçue comme telle au départ, chacun des films a été écrit indépendamment des autres.

L’unité de l’œuvre est visible dans le mouvement qui lui est donné. Aucun immobilisme, chaque film se termine symboliquement par un départ. Depuis le début de la trilogie, Apu poussé par les circonstances, par les décès qui touchent sa famille se coupe de son passé pour se diriger vers l’avenir comme dans une sorte de fuite en avant. Le motif du train concrétise cette unité puisque les films s’articulent sur l’idée de déplacement. Il sert de lien entre les œuvres car son sens évolue, mais aussi entre les personnages : il unit et sépare les êtres, il est la modernité et l’ouverture au monde.

Le passage, dans l’espace ou dans le temps, est un thème essentiel des films de Ray. Dans la Trilogie, le passage de la campagne (lieu de tradition et lié à l’instinct) à la ville (lieu de progrès et d’affranchissement) est aussi celui de l’enfance à l’âge adulte. Cette relation entre deux lieux, deux âges, fonctionne comme un double flux, contradictoire et complémentaire autour du personnage central. L’Invaincu est le film qui illustre le mieux la relation entre ville et campagne. Par le montage et les nombreux contrastes, les deux mondes s’entrecroisent et se nourrissent l’un et l’autre. Ray se sert du montage pour combler la distance entre la mère et le fils. C’est une manière de rendre l’autre présent, mais aussi de commencer à s’en séparer. Progressivement Apu crée sa propre identité.

Etre enfant, pour Ray, c’est jouir de la vie dans l’insouciance de son appartenance au monde. Devenir adulte, c’est avoir conscience d’appartenir à ce monde, par le travail, le lien familial, la transmission. Entre ces deux états se situe le monde de l’art et du jeu, directement associé au non-travail, et à un état d’irresponsabilité, attitude que l’on retrouve chez Apu, obnubilé par son roman, leurre narcissique déconnecté de la réalité. C’est seulement lorsqu’il aura dissipé dans la nature les pages de son livre et qu’il se sera réconcilié avec la vie sous toutes ses formes, affectives et sociales, qu’Apu pourra réellement commencer à vivre. L’art doit se nourrir du réel.


le tournage

« Je me rappelle parfaitement le jour du premier tour de manivelle de Pather Panchali. C'était la saison des fêtes, en octobre, et le demier des grands pujas (cérémonie rituelle) avait lieu ce jour là. Notre lieu de tournage se trouvait à cent cinquante kilomètres environ de Calcutta. La Grand Trunk Road (la route nationale n° 1 de l'Inde), le long de laquelle notre taxi nous emmenait à toute allure, traversait plusieurs villes et villages de banlieue, nous pouvions entendre les tambours et même avoir de rapides aperçus de la fête. Quelqu'un dit que cela nous porterait bonheur. Je n'en étais rien moins que sur, mais je préférais le croire. Tous ceux qui ont fait - ou essayé de faire -des films savent que pour réussir ils ont besoin de chance tout autant que du reste : talent, argent, persévérance, etc. Et nous, nous en avions besoin juste un peu plus que les autres.

Je savais que cette première journée ne serait pour nous qu'une sorte de répétition, de galop d'essai. En vérité, nous partions presque tous de zéro. Notre équipe comprenait huit personnes, dont une seule, Bansi, notre directeur artistique, avait déjà travaillé dans le cinéma à titre professionnel. Nous avions un opérateur nouveau, du nom de Subroto, et une vieille caméra, la seule que l'on ait pu louer ce jour-là, et dont l'unique mérite paraissait être de posséder un dispositif permettant de bonnes vues panoramiques.
La scène que nous tournions était muette, de sorte que nous n'avions pas eu besoin d'apporter de matériel d'enregistrement.
Il s'agissait d'un épisode du film où les deux enfants de l'histoire, le frère et la sœur, se perdent dans la campagne, loin de leur village, et tombent sur un champ de fleurs de kaash. Ils se sont disputés et ici, dans ce décor enchanteur, se réconcilient, puis -merveilleuse surprise au terme de leur longue marche - voient passer un train pour la première fois. J'avais choisi de commencer par cette scène qui, sur le papier, paraissait à la fois simple et touchante. C'était important pour moi car notre principal objectif, en démarrant la production avec seulement huit mille roupies en poche, était de tourner rapidement assez de pellicule pour que notre travail pût inspirer confiance. C'est ce que nous n'avions pas encore réussi à faire et c'est cela qui, jusqu'alors, nous avait empêchés de trouver un commanditaire.

A la fin du premier jour de tournage, nous avions pris huit plans. Les enfants avaient joué avec naturel, ce qui était une grande chance car je ne leur avais pas fait faire le moindre bout d'essai, la moindre répétition. Quant à moi, j'avais été, Je me le rappelle, un peu tendu au début, mais, au fur et à mesure que passait le temps, ma nervosité avait diminué, et à la fin je crois même avoir ressenti une sorte d'exaltation heureuse. Cependant, nous n'avions pu tourner qu'une moitié de la scène, et le dimanche suivant nous étions de retour au même endroit. Mais était-ce vraiment le même ? On aurait eu peine à le croire. Ce qui, la semaine précédente, avait été un véritable océan de blancheur bouillonnante n'était plus maintenant qu'une morne étendue d'herbe brunâtre. Nous savions bien que le kaash était une plante saisonnière, mais elle ne pouvait quand même pas se flétrir si rapidement. Un paysan nous donna l'explication. Les fleurs, nous dit-il, étaient fort prisées du bétail. Des vaches et des buffles étaient donc venus brouter ici la veille et avaient littéralement ingurgité le décor.

Nous étions bouleversés. Nous ne connaissions aucun autre champ de kaash où tourner les longues séquences dont j'avais besoin. Il n'y avait pas d'autre solution que de tourner à nouveau la scène dans un autre décor, et rien que d'y penser nous nous sentions déprimés. Qui aurait pu prédire alors qu'exactement deux ans et demi plus tard nous serions de retour exactement au même endroit, avec la possibilité de reprendre la scène entière avec la même équipe et le même dispositif, et cela grâce à une subvention, du gouvernement du Bengale occidental ?
Quand je me remémore le tournage de Pather Panchali, je n'arrive pas à savoir s'il m'a causé plus de souci que de plaisir. Il est difficile de faire comprendre quelle sorte de tourment peut vouloir dire l'obligation de suspendre une production parce que l'argent fait défaut. Les longues périodes de repos forcé (et il y eut en l'occurrence deux arrêts d'une durée totale d'un an et demi) vous plongent dans des abîmes de désespoir. La seule vue du scénario vous rend malade, on ne fait que songer aux détails nouveaux auxquels on a pensé, aux améliorations que l'on aurait apportées aux dialogues.
Mais le travail - même le travail d'une seule journée - porte en lui-même sa propre récompense, ne serait-ce que de comprendre progressivement la nature complexe et fascinante du travail de réalisation d'un film. Les règles formulées par les théoriciens, que l'on a laborieusement et longuement potassées à l'école, ne sont certainement pas inutiles, et on les garde toujours plus ou moins au fond de sa mémoire, mais, quand on doit les appliquer pour la première fois et qu'il faut en même temps se débrouiller tout seul, on réalise vite qu'on en sait plutôt moins que l’on ne le croyait, que les théories ne permettent pas de résoudre tous les problèmes, que quel que soit l'enthousiasme que vous procure cette danse au clair de lune de Earth de Dovjenko, ce n'est pas sur elle que vous fonderez votre travail, mais que c'est du sol, de l'âme même de votre pays que votre film tirera ses racines, à supposer bien entendu que ce soit là qu'il se passe.
Pather Panchali, de Bibhutibhushan Banerjee, avait été publié en feuilleton au début des années trente dans un périodique populaire du Bengale. L'auteur avait été élevé dans un village et une grande partie du texte était autobiographique. Jusque-là, le manuscrit avait été refusé par tous les éditeurs sous prétexte qu'il n'y avait pas d'intrigue. Le magazine lui aussi avait commencé par hésiter, puis avait accepté à la seule condition que la publication serait suspendue si les lecteurs le demandaient. Mais, dès la première livraison, l'histoire d'Apu et de Ourga avait été un triomphe, et quant elle fut publiée en librairie un an plus lard environ, elle remporta un énorme succès, tant auprès des critiques que des lecteurs. Depuis lors, l'ouvrage est resté, en Inde, l'un des plus lus.
J'ai choisi Pather Panchali pour ses qualités qui en font un grand livre : son humanisme, son lyrisme et sa vérité. Je savais que je devrais y faire de nombreuses coupures et y apporter certaines modifications - et que je ne pourrais certainement pas utiliser plus que la première partie, qui se termine par le départ de la famille pour Bénarès -, mais en même temps je sentais que ce serait une erreur de vouloir couler l'ouvrage dans un moule classique. Le script devait conserver le caractère désordonné du roman, parce que c'était ainsi, et ainsi seulement, que l'on pourrait lui garder son cachet d'authenticité : le désordre est en effet une des caractéristiques de la vie dans les villages pauvres du Bengale.

Les considérations de forme, de rythme ou de mouvement ne me troublaient guère à ce stade. J'avais mon noyau : la famille, composée du mari et de la femme, de deux enfants et d'une vieille tante. Les personnages avaient été façonnés par l'auteur de manière qu'il y eût un subtil et constant va-et-vient psychologique entre eux. L'intrigue s’étendait sur une année. Il y avait des contrastes visuels aussi bien qu’émotionnels : les riches et les pauvres, le rire et les larmes, la beauté de l'environnement et le caractère sinistre de la misère ambiante. Finalement les deux moitiés de l'histoire culminaient en deux morts poignantes. Qu'est-ce qu'un scénariste pouvait demander de plus ?

Mon principal handicap était de ne pas avoir eu personnellement l'expérience du milieu où se déroulait l'intrigue. Je pouvais évidemment me référer au livre lui-même, qui était une sorte d'encyclopédie de la vie rurale au Bengale, mais je savais bien que cela ne suffirait pas. En tout état de cause, le village ou se déroulait le roman ne se trouvait pas à plus de dix kilomètres de la ville.
Il ne s'agissait certes pas d'une aventure au sens physique du terme, et cependant cette véritable exploration d'un village m'a ouvert la porte d'un monde nouveau et fascinant. J'étais né et j'avais grandi dans une ville et, tout à coup, je me trouvais en contact avec une ambiance nouvelle, un nouvel état de choses : j'éprouvais le désir de tout Voir, de tout expérimenter, de saisir les moindres détails, les gestes caractéristiques, les manières de s'exprimer différentes. Il me fallait sonder les mystères de «l'atmosphère». D'où venait la différence? Dans ce que l'on voyait? Dans ce que l’on entendait ? Comment était-il possible de saisir la différence entre l'aube et le crépuscule, de rendre perceptible le calme blafard et humide qui précède les premières pluies de la mousson ? Le soleil de printemps était-il le même que celui d'automne?

Chaque moment apportait quelque découverte nouvelle et, loin d'engendrer le mépris, la familiarité faisait naître l'amour, la compréhension, la tolérance. Les problèmes techniques passaient à l'arrière-plan, et l'on en arrivait à minimiser l'importance de la caméra. Après tout, se disait-on, il ne s'agit en fait que d'un instrument enregistreur. La seule chose importante est la vérité. Allez à elle, et voilà créé votre grand chef-d’œuvre humaniste.

Mais comme vous vous trompez ! Vous êtes à peine en place que le trépied occupe tout votre temps, que les problèmes surviennent à toute allure. Où placer la caméra ? En haut ou en bas ? Près ou loin ? Sur le chariot ou sur le sol ? Est-ce que un 35 c'est bien, ou vaudrait-il mieux un 50 ? Si on reste trop près de l'action, voilà que ça déborde d'émotion, mais si l'on s'en éloigne trop, tout devient froid et distant, A chaque problème, il faut trouver une réponse rapide. Si on hésite, le soleil change de place et l'on a perdu la lumière.
Le son est également un problème. Vous avez réduit le dialogue au minimum, mais vous voulez le couper encore. Ces trois mots sont-ils vraiment nécessaires, ou bien un geste éloquent peut-il les remplacer? Les critiques parleront évidemment d'un désir louable de redécouvrir les principes fondamentaux du cinéma muet, mais au tréfonds de vous-même vous savez bien que, si cela est exact, il est également vrai que vous êtes désireux de réduire au maximum les frais de la sonorisation ainsi que l'ennui du doublage.

Les considérations budgétaires sont, de fait, toujours un facteur déterminant, influençant le style même du film. Un autre élément important - même si je ne veux pas généraliser - est le facteur humain. J'ai toujours trouvé impossible d'en arriver au point où je pourrais me détacher complètement de mes acteurs et les considérer froidement comme une matière première que l'on pétrit et repétrit à volonté. Pour ma part, je n'arriverai jamais à obliger - disons - une femme de quatre-vingts ans à rester debout sous un soleil de plomb, à répéter indéfiniment les mêmes paroles et les mêmes mouvements, tandis que je serais là les yeux mi-clos à attendre le geste et la manière de dire le texte que je considérerais enfin comme parfaits. Mais cela signifie du même coup moins de répétitions et moins d'essais.

Parfois on a de la chance, et tout va bien dès le début. Mais parfois aussi cela ne marche pas, et on a l'impression que l'on n'obtiendra jamais ce que l'on veut. On consomme de plus en plus de pellicule, on dépense de plus en plus d'argent, vos scrupules tendent à étouffer votre désir de perfection et l'on renonce à tenter de faire mieux, espérant vaguement que les critiques trouveront à votre travail des circonstances atténuantes et que le public ne s'apercevra de rien. On en arrive même à se demander si l'on n'a pas été trop pointilleux, si ce que l'on a fait n'était pas après tout moins faux et moins mauvais qu'on ne le pensait.

Et ainsi, sans fin, le numéro de corde raide se poursuit tandis qu'envers et contre tout on continue à espérer qu'on aboutira finalement a une œuvre d'art. Il y a des moments ou la tension devient insupportable et où l'on a envie d'abandonner. On a l'impression que l'effort va vous tuer, ou tout au moins tuer l'artiste qui est en vous. Mais on continue, parce que tant de choses et tant de gens sont en jeu, jusqu'à ce que vienne la dernière prise de vues, jusqu'à ce que la dernière bobine soit dans sa boite, et alors on est réellement surpris de ne pas éprouver de bonheur, de soulagement, mais d'être simplement triste. Et l'on n'est pas le seul. Chacun partage ce sentiment, depuis la vieille tante pour qui, après trente années passées dans l'oubli, ce travail a été si excitant, en dépit de la fatigue, jusqu'au gamin qui a été chercher les araignées vivantes et la dépouille du crapaud.

Pour moi, c'est le rythme inexorable du processus de création qui, en dépit des épreuves et de la frustration, rend la fabrication d'un film si envoûtante. Pensez à ce qui se passe : vous avez imaginé une scène, n'importe laquelle. Celle par exemple d'une jeune fille de santé fragile, mais emplie d'une sorte d'ivresse primitive, qui se livre à la première pluie de la mousson. Elle danse dans l'extase, tandis que les grosses gouttes tombent sur elle et la transpercent. La scène vous excite non seulement pour ses possibilités visuelles, mais en raison de toutes ses implications. C'est en effet cette pluie qui causera la mort de la jeune fille.

Vous divisez la scène en plans, vous prenez des notes et faites des croquis. Puis vient le moment de donner vie à votre idée. Vous sortez, scrutez le paysage, choisissez le décor. Lourds de pluie, les nuages approchent. Vous installez votre caméra, vous faites vite une dernière répétition, « on tourne ».  Mais une seule prise de vues ne suffit pas. Il s'agit d'une scène importante, essentielle. Il faut donc faire un autre essai avant que l'averse ne cesse. A nouveau « on tourne », et voilà la scène sur la pellicule.

Vite au labo ! Couvert de sueur - on est en septembre -, vous attendez fiévreusement tandis que ce sacré négatif prend son temps pour se fixer. Rien â faire pour le forcer à aller plus vite. Voici enfin les épreuves. Vous vous dites : « Pas trop mal. » Mais, attention ! il ne s'agit que de bouts et de morceaux. Rien de définitif. Comment tout cela va-t-il coller avec le reste ? Vous saisissez votre chef monteur par la peau du cou et courez à la salle de montage. Il y a quelques heures angoissantes, emplies d'attente fiévreuse, passées à couper et à coller. A la fin, vous pouvez regarder le tout. Même le vieil appareil de projection hoquetant dont vous vous servez ne pourra vous empêcher de trouver la scène bonne. Faut-il de la musique ? L'ambiance sonore se suffit-elle à elle-même ? Il s'agit là d'un moment décisif. Pour pouvoir prendre une décision en connaissance de cause, il faut attendre que tous les bouts aient été collés ensemble et aient donné naissance â des scènes, puis que les scènes soient devenues des séquences. Enfin, le film pourra être appréhendé dans sa totalité. Alors, mais alors seulement, saurez-vous, à condition évidemment de pouvoir faire preuve du détachement et de l'objectivité voulues, si cette danse sous la pluie est réellement réussie.

Mais ce détachement, cette objectivité sont-ils possibles ? Vous savez que vous avez travaillé dur et consciencieusement. Tous les autres aussi. Mais vous savez aussi qu'il a fallu faire des changements, accepter des compromis - toujours pour les motifs les plus louables, bien entendu - sur le plateau et dans la salle de montage. Avez-vous eu raison ou tort ? Devez-vous en dernier ressort juger d'après votre goût personnel ou accepter la décision de la majorité? Impossible de le dire. Mais une chose est certaine. Maintenant que vous avez terminé le film, vous vous sentez un autre homme. » 1957

Extrait de Satyajlt Ray • Ecrits sur le cinéma, Traduit de l'anglais par Tony Mayer, Ed. J.C Lattes